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Le Retour du Dodo
Le Retour du Dodo
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13 juillet 2006

Ceci n’est pas un titre

Selon une étude très inofficielle, le visiteur d’un musée reste devant chaque peinture en moyenne cinq secondes, dont il faut soustraire les trois bonne secondes passées à lire la légende. Stupide?

Pas tant que ça. Avec Magritte, on pourrait dire que le titre est au moins aussi important que le peinture! Les peintures de Magritte, que j’aime beaucoup, sont des idées poétiques transposées en images plus que des images pouvant éventuellement évoquer des idées.

La façon de peindre est très classique, même si les personnages ont des traits un peu figés et naïfs; Magritte joue beaucoup avec ce côté très « trompe-l’œil », comme dans La Condition Humaine, l’Aimable Vérité, la Tentation de l’Impossible _ une variation sur le mythe de Pygmalion_ et le très célèbre La Trahison des Images, on l’on voit une image de pipe, et en dessous, une image de légende qui affirme : “Ceci n’est pas une Pipe”

La Condition humaine est un titre grandiloquent légèrement teinté d’ironie. C’est une sorte de mise en abyme : Une toile représentant une toile sur laquelle on a reproduit un paysage si fidèlement que celui-ci se fond avec le « vrai » paysage aperçu par la fenêtre, si bien que le spectateur a les plus grandes difficultés à les distinguer (surtout sur un reproduction de piètre qualité, mais ça c’est un autre problème!) Magritte adore jouer avec lieux communs, ici, l’idée que le tableau est une fenêtre sur le monde. Et la Condition Humaine dans tout ça ? J’imagine que le tableau st une illustration du topos selon lequel la vie n’est rien qu’une illusion…

Certains titres sont de petits poèmes à eux tout seuls :

L'Empire des lumières

Les Fleurs de l'Abîme : « Abîme » peut s’entendre à la fois dans le sens propre et dans le sens figuré de ruine

Le Palais des Rideaux

Le Brise-lumière

Le Sens de la nuit … “sens” signifie à la fois signification et direction. Le titre est, je suppose, un jeu de mot sur “Le Sens de la Vie”

La Saveur des Larmes

Les Jours gigantesques (avec une allitération en “j”!)

La Durée poignardée: ce superbe titre est évidemment une allusion au train et aux moyens de transports modernes qui « abolissent » la durée. Peut-être trop évident et trop simple cependant. Le train, qui connote une vitesse vertigineuse, détonne plutôt dans ce décor bourgeois empesé où le temps semble s’être arrêté.

Le Faux Miroir est un autre titre parfait. Le tableau montre un œil grand ouvert dont la paupière reflète le ciel _ ou EST le ciel. Une illustration littérale de la description clichée des yeux « bleus comme les cieux » ; le titre prend à contre-pied l’expression « les yeux sont le miroir de l’âme ». Le tableau lui-même pourrait être ce « Faux miroir » qui reflète en le déformant le monde extérieur…

D’autres titres sont de simples expressions figées (La Clé des champs, les Valeurs personnelles) que Magritte détourne en les confrontant avec ces peintures : « La Reproduction interdite » en est un très bon exemple (très amusant, par ailleurs) : un  homme, de dos, se regarde dans une glace mais le seul reflet qu’on y voit, c’est celui de son dos… pas moyen de voir son visage ! Certains titres éclairent des peintures intrigantes, mais d’autres semble ne pas avoir de lien avec la peinture qu’ils intitulent et être là plutôt par hasard, façon cadavre exquis. Un peu comme M. et Mme Martin, dans le Cantatrice Chauve, qui sont de parfaits inconnus l’un pour l’autre mais qui sont pourtant mari et femme… Exemples : « Le Modèle Rouge » (qui représente une chaussure-pied) ou "La Grande Famille" (un oiseau-ciel)

Plusieurs titres proviennent d’oeuvres littéraires :

La Folie Almayer (Le premier roman de Joseph Conrad)

Le domaine d’Arnheim (d’Edgar Allan Poe)

Un prêtre marié (Barbey D’Aurevilly), etc.…

Je n’ai pas réussi à trouver de rapport évident entre le petit essai de Poe et ce que le tableau représente. Ce n’est pas tellement plus clair pour La Folie Almayer. Le bâtiment fantastique qui y est représenté (une tour pourvue de racine) peut faire penser à la maison orgueilleuse d’Almayer, à la végétation luxuriante de Bornéo, ou pourrait être la métaphore de la folie ancrée dans l’âme d’Almayer… En fait je ne pense pas qu’une seule interprétation soit juste, peut-être même que toutes se valent, ou bien aucune n’est juste. Quelque chose de sombre et d’inexplicable persiste, et c’est précisément cela qui rend les peintures fascinantes. Selon la légende, Magritte ne choisissait pas ses titres lui-même ; il se contentait de montrer les peintures à ses amis et de leur demander quel était leur sujet, d’après eux.

Je ne peux pas résister à l’envie d’ajouter deux tableaux que j’aime et dont les titres semblent évidents _ car si bien choisis. Le premier est très amusant: on y voit un peintre qui prend pour modèle un œuf… et peint un oiseau. Son titre? La Clairvoyance. Difficile de trouver une métaphore plus réussie

Le dernier est à la fois dérangeant et fascinant. Les Amants représentent deux figures, un homme et une femme, qui s’embrassent… rien de très surprenant jusque là, sinon que leurs visages sont recouverts d’un drap blanc ! Magritte joue probablement avec une expression figée, comme de très nombreux tableaux : « L’amour est aveugle ». Mais pas seulement. Les amants sont comme dérobés à la vue du spectateur trop curieux, comme deux peintures que l’on recouvre avant de les exposer au public. De cette scène se dégage une impression d’intimité volée et de sensualité. Les draps blancs sont les draps du lit, de l’amour, bien sûr, mais ils pourraient tout aussi bien être des linceuls…

~~~~~~

Visitors in museums allegedly spend in average 5 seconds in front of each painting, including 3 whole seconds dedicated to the caption only! Pretty dumb, isn’t it?

Well, not always. It could be argued that with Magritte, half the work is with the title! Magritte’s paintings, which I love, can be seen more as poetical ideas shaped into images more than images which can incidentally convey ideas.

The way of painting is almost overly classical, although the character have somewhat frozen, naïve features; Magritte often plays with this “trompe-l’oeil” quality in many paintings such as La Condition Humaine (The Human Condition), l’Aimable Vérité (The Pleasant Truth), la Tentation de l’Impossible (Attempting the Impossible) _ reinterpreting the myth of Pygmalion_ and the much-commented La Trahison des Images (The Betrayal of Pictures ), featuring a picture of pipe with a picture of caption claiming : “Ceci n’est pas une Pipe” ( This is not a pipe)

La Condition humaine is a grand-sounding title that may have some ironical connotations: it’s a kind “mise en abyme” representing a canvas on which a landscape is so perfectly reproduced that it blends into the “real landscape” of the window, so that the viewer can hardly tell the canvas from the landscape (especially on poor quality reproductions, but this is another matter). A painting is very often described as a window unto the world. As to the relation to “the Human Condition”, I guess it is an illustration of the topos that human life is nothing but an illusion.

Some titles are little poems in themselves:

L'Empire des lumières (The Dominion of Light)

Les Fleurs de l'Abîme : « Abîme » has a double meaning: Abyss and Ruin

Le Palais des Rideaux (The Palace of Curtains)

Le Brise-lumière (The Light Breaker)

Le Sens de la nuit“sens” could be translated both by “meaning” and “direction”; the title being, I guess, a pun on “Le Sens de la Vie”, “The Meaning of Life”

La Saveur des Larmes (the Taste of Tears)

Les Jours gigantesques (The Titanic days) The French title has a nice alliteration.

La Durée poignardée (Time Transfixed). The “official” translation of this title is really poor. The original one literally means “Ongoing Time stabbed by a dagger”. This utterly brilliant title obviously refers to the train and to quick modern means of transport as something abolishing time. It might be too obvious and simple though. The train and its connotation of dazzling speed are ironically in clash with the ponderous bourgeois décor where time seems to have stopped.

Le Faux Miroir (the False Mirror) is also a perfect title. The picture shows a wide open eye whose iris reflects the sky _ or is made of sky. It takes literally the cliché description of eyes “blue like the skies”; its title comes from the expression “The eyes are the mirror of the soul”. The painting itself could be seen as a “false mirror” of the external world, or at least a distorting mirror!

Other titles are mere frozen expression (La Clef des Champs, Les valeurs personnelles) which, when put in clash with the pictures, acquire a new meaning. “La Reproduction Interdite (Not to be reproduced) is a good (and funny) example: it shows a man looking into a mirror but the reflexion in it is his back… the frustrated viewer will never see his face! It seems that some titles throw light on quizzical pictures, but others seem to have been put coincidently side by side with the picture they entitle, like in a game of consequences. A bit like Mr and Mrs Martin in the play La Cantatrice Chauve (The Bald Soprano) who are total strangers to each other and yet happen to be husband and wife. This is the case for some obscure titles like Le Modèle Rouge (The Red Model), representing a “shoe-foot”, or La Grande Famille (The Big Family), featuring a bird made of sky.

Several titles come from literary works:

Almayer’s Folly (Joseph Conrad’s first novel)

The Domain of Arnheim (by Edgar Allan Poe)

The Married Priest (by Barbey d’Aureyvilly), etc...

I couldn’t find any clear link between the little essay by Poe and what is represented in the painting, and this is not really clearer for Almayer’s Folly. The fantastical building represented (a tower with roots) could remind us of Almayer’s pretentious house, of the lush vegetation of Borneo or could be a metaphor for Almayer’s deep-rooted Folly… Anyway I don’t think that one interpretation was intended, maybe no interpretation at all. Something shadowy remains and this is what is so attractive. The legend has it that Magritte was not the one who chose the title; he would just show the paintings to his friends and ask them what they were about, according to them.

I cannot resist adding two more paintings which I like and whose titles seem self-evident _ so well chosen. The first one is very amusing: it shows a painter taking an egg for model and painting a bird on his canvas. Its title? Clairvoyance. You cannot dream of a better metaphor…

The last one is both strangely attractive and disturbing at the same time. “The Lovers” shows two figures, one male and one female, kissing each other… nothing to be surprised about, except that their faces are covered with a white sheet… I guess Magritte is playing here with a frozen phrase, as in many painting: “Love is blind”. But there is more to it. The lovers are hidden from the spectator’s voyeurism, like two paintings hidden from the public before being exhibited. It conveys an impression of privacy, stealth and sensuality. The white sheets are that of a bed, of course, but could also remind us of a shroud...

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Commentaires
N
bon comme c'est long, j'y lirasi chez moi! :) faux que j'aille ENCORE chanter!
Le Retour du Dodo
  • A hotchpotch of drawings and paintings, film and book review, funny quotations, but not much about dodos I'm afraid... Un joyeux mélange de dessins et de peintures, de critiques de films et de livres, de citations, mais pas grand-chose sur les dodos..
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